ActualitésDessins & ModèlesL’alternative à l’introduction (prochaine) en droit interne de la regrettable clause de réparation – Charles de HAAS

24 juillet 2019

 

La clause de réparation des pièces de rechange visibles que nous connaissons déjà en droit européen des dessins & modèles[1] est sur le point d’être introduite en droit français par le jeu d’un amendement[2] (bien cavalier) inséré dans le projet de loi sur les mobilités[3].

En son dernier état[4], le texte prévoit de consacrer une nouvelle double exception au droit sur les dessins & modèles et aussi au droit d’auteur, exception que l’on pourrait dénommer « exception de réparation des pièces visibles ou d’apparence ».

Cette exception s’appliquerait d’abord en droit d’auteur, avec un nouvel article L. 122-5, 12° du code de la propriété intellectuelle pour permettre aussi sur ce terrain la reproduction, l’utilisation et la commercialisation de pièces destinées à rendre leur apparence initiale à un véhicule à moteur ou à sa remorque.

En droit des dessins et modèles, le législateur se propose de compliquer tout davantage pour y aller plus progressivement, en limitant dans un premier temps (à compter du 1er janvier 2020) la même exception de réparation, mais seulement aux pièces de vitrage, d’optique et aux rétroviseurs. Pour les autres pièces visibles (de carrosserie), il faudrait attendre le 1er janvier 2021 et seuls les équipementiers qui fabriquaient la pièce d’origine pour les constructeurs (dits équipementiers de 1ère monte) pourront en bénéficier. Enfin, pour couronner le tout, la protection résiduelle des pièces visibles qui ne seraient encore pas visées par ces exceptions de réparation (à géométrie variable) serait réduite de 25 ans à 10 ans, mais la disposition est si mal rédigée qu’elle n’a guère de sens[5].

Que faut-il penser de cette nouvelle réforme qui s’annonce ?

Pourquoi d’abord prévoir une application dans le temps, progressive en droit des dessins & modèles et non en droit d’auteur et pourquoi donc limiter le champ de l’exception en droit des dessins & modèles, mais pas en droit d’auteur ?

Certes, un grave problème existe pour ces pièces dites « captives » en ce sens que le défaut de toute concurrence sur le marché de la réparation (du fait des droits exclusifs) alors que le consommateur n’a plus la moindre alternative, a permis une envolée constante des prix de moins en moins supportable (par les consommateurs et leurs assureurs).

Notre système qui prévoyait (avec quelques autres minoritaires) un plein exercice des droits de propriété intellectuelle sur ces pièces visibles en niant ce problème ne pouvait donc plus durer.

Fallait-il pour autant, à l’inverse, nier ou neutraliser l’exercice (diront certains) de droits de propriété intellectuelle dont l’objet spécifique[6] est pourtant bien menacé en cas de deuxième monte ou de réparation ?

Une solution bien plus raisonnable a pourtant été proposée il y a déjà quelques années par un parlementaire américain[7] : elle consiste à concilier enfin ces droits exclusifs et la nécessité de favoriser la concurrence sur ce marché particulier des pièces visibles pour la réparation en imposant aux titulaires des droits de consentir une licence obligatoire à qui la leur demande et il faudrait même l’assortir de l’obligation de consentir alors des redevances FRAND[8].

Une licence obligatoire pour réparer en contrepartie de redevances FRAND, ce serait tellement plus intelligent que cette nouvelle double exception trop radicale et aussi mal ficelée qu’incohérente !

 

Charles de HAAS,

Avocat à la Cour.

[1] Selon l’article 110 du Règlement (CE) 6/2002.

[2] Amendement n° CD2794, lui-même assorti de divers sous-amendements pour constituer ensemble l’article 31 sexies (nouveau) du projet.

[3] Projet de loi d’orientation des mobilités (n° 1831).

[4] La procédure d’adoption est bien avancée le texte devant passer en Commission Mixte Paritaire (CMP) avant une dernière navette.

[5] Le texte vise les pièces détachées d’apparence qui ne seraient pas déjà touchées par l’exception, mais l’auteur de ces lignes n’en voit (objectivement) aucune.

[6] Soit, selon la CJUE, la récompense par l’octroi du droit exclusif de fabriquer et de mettre en circulation toute reproduction des objets protégés en droit des dessins & modèles (CJCE, 5 oct. 1988, aff. C 53/87 et CJUE, 26 sept. 2000, aff. C-23/29) et la protection des intérêts moraux et économiques des auteurs en droit d’auteur (CJCE, 20 oct. 1993, RTDE, 1995, p. 845, obs. G. Bonet).

[7] Pour une présentation de cette solution proposée par l’honorable Darell E. Issa, lire notre chronique in Prop. Intell. 2010, n° 37, p. 1029.

[8] Car, si la fixation des redevances n’est pas, un minimum, encadrée, il suffira au titulaire d’exiger des redevances à une hauteur déraisonnable pour vider l’obligation de concéder des licences de toute substance. Sur les modalités de fixations d’une telle redevance FRAND, lire Matthieu Dhenne, Petit précis de redevance FRAND à l’usage du vaste monde in Les inventions mises en œuvre par ordinateur : enjeux, pratiques et perspectives, Collection du CEIPI, n° 67, LexisNexis, 2019, pp. 173 et s.

 

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